- Les Roses de VerdunClavel, Bernard
Description | 285 p. ; 23 x 15 cm |
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Cote | Localisation | Statut |
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R CLAV R |
Editeur | Paris : Albin Michel, 1994. |
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Langue | Français. |
ISBN | 9782226069887 |
Centre d'intérêts | Autres romans |
Roman sur la guerre, toutes les guerres, leurs séquelles, leurs blessures irréversibles dans la mémoire, leurs deuils impossibles.
300pages. in8. Broché.
Médias
Bernard Clavel, né le à Lons-le-Saunier, mort le à La Motte-Servolex (Savoie), et inhumé à Frontenay (Jura), est un écrivain français principalement connu pour ses romans, mais qui s'est aussi adonné à l'écriture d'essais, de poèmes et de nombreux contes pour la jeunesse.
Né dans une famille modeste, il devient apprenti pâtissier à 14 ans et se forme en autodidacte en exerçant différents métiers avant de devenir journaliste dans les années 1950.
Son premier roman L'Ouvrier de la nuit, publié en 1956, marque le début d'une production importante de près d'une centaine de titres avec des œuvres pour la jeunesse et de très nombreux romans, parfois constitués en sagas qui ont rencontré un vaste public comme La Grande Patience (4 volumes – 1962/1968), Les Colonnes du ciel (5 volumes - 1976/1981) et Le Royaume du Nord (6 volumes 1983/1989)[1].
Associant l'enracinement régional (la Franche-Comté, Lyon et le Rhône, le Québec…) et l'évocation historique (conquête de la Franche-Comté au XVIIe siècle, la vie des canuts et des mariniers du Rhône au XIXe siècle, la guerre de 1914-1918, l'implantation française au Canada…), Bernard Clavel montre une constante attention aux humbles et défend des valeurs humanistes en contant des destins individuels et collectifs, souvent confrontés au malheur. Son sens de la nature et de l'humain, sa mise en question de la violence et de la guerre et son souci de réalisme ont fait de lui un écrivain récompensé par de nombreux prix dont le prix Goncourt pour Les Fruits de l'hiver en 1968.
Bernard Clavel, s'il est surtout connu comme romancier, a aussi écrit des Contes et nouvelles pour la jeunesse ainsi que de nombreux articles, préfaces et témoignages. Il passe aussi pour être un représentant de ce qu'on appelle le roman du terroir et tire son inspiration de sa vie et d'une observation aiguë du monde qui l'entoure. Il aime décrire les existences rudes et ses personnages évoluent souvent dans des milieux ruraux ou sauvages.
La Grande Patience est une fresque autobiographique dans laquelle il retrace son apprentissage sous la houlette d’un patron tyrannique et injuste. La Seconde Guerre mondiale bouleversera son existence. Dans le dernier ouvrage de cette série, il évoque de manière poignante la mort de ses parents.
La fresque Le Royaume du Nord est née d’une double passion : sa seconde femme (Josette Pratte, écrivaine québécoise) et le Québec, dont le climat et la géographie tourmentée servent à merveille son besoin de décors rudes et grandioses. Cette série relate la vie de pionniers canadiens qui peu à peu, tentent de s’approprier la terre du grand Nord canadien. Les Colonnes du ciel est une série dans laquelle il raconte la Franche-Comté aux prises avec la peste et la guerre. C'est un écrivain prolifique qui a écrit plus d’une centaine d’ouvrages (pas tous disponibles malheureusement). Si ces grandes fresques ont marqué les esprits, il est aussi connu pour des romans tels que : L’Espagnol, Malataverne… ou des œuvres plus récentes comme Brutus ou La Retraite aux flambeaux.
Bernard Clavel est l'homme des émotions : celles qui réveillent les images de Dole, la dure réalité de l'apprenti-pâtissier, puis ses pérégrinations à travers la France pendant la guerre qu'il retrace dans La Grande Patience ; celles qui l'assaillent à Salins-les-Bains quand il prend conscience des horreurs de la guerre de Dix Ans dans son pays de Franche-Comté dont il raconte l'histoire dans Les Colonnes du ciel ; puis celles du Canada dans Le Royaume du Nord et ses pionniers aventureux dont il écrira dans la préface d'Harricana : « Empruntant pour la première fois la route du nord au cours de l'hiver 1977-78, j'étais loin d'imaginer la place que ces terres allaient occuper en moi. » Celles aussi que suscite sa rencontre avec l'homme de Terre des hommes qui lui fit si forte impression qu'il apparaît dans Les Colonnes du ciel à trois reprises sous les traits du père Boissy, d'Alexandre Blondel, le « sauveur des enfants », et du père Delorimière. Il ressemble aussi à son personnage de L'Homme du Labrador qui vit ses rêves jusqu'à les faire partager par les autres et nous livre ainsi quelques clés sur la création romanesque.
Il s'inscrit dans les terroirs qui l'ont marqué, le Québec[notes 1] bien sûr et sa région natale de Franche-Comté[notes 2] mais aussi les pays du Rhône[notes 3] où il résida longtemps et écrivit ses premiers romans et y revint plus tard autour des années 2000 avec des romans comme La Table du roi ou Les Grands Malheurs.
Ses éléments, il le dit lui-même, ce sont la terre et l'eau : « Je suis un homme de la terre, mais peut-être encore davantage un homme de l'eau. Le Saint-Laurent, l'Harricana après le Doubs, l'Ain et la Vallière m'ont marqué[notes 4]. » À cette géographie sentimentale correspond une histoire sentimentale, d'abord l'histoire épique et romantique de la guerre racontée par les Anciens qui « ont laissé en moi une trace profonde » puis il eut « cette chance de rencontrer d'autres hommes (qui lui) ont ouvert les yeux, car, écrit-il, nous avons besoin de bonté autant que de beauté. » À ceux qui lui reprochaient de trop écrire, il répondait par cette citation de François Mauriac : « Notre vie vaut ce qu’elle nous a coûté d’efforts. »
Le fonds d'archives personnelles de Bernard Clavel et Josette Pratte est déposé et conservé auprès de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCU), en Suisse.
Il y a une résonance, une connivence entre ces deux ouvrages où Bernard Clavel égrène ses souvenirs et nous livre une partie de lui-même dans Les Petits Bonheurs et Bernard Clavel, qui êtes-vous, qui font l'objet de cette présentation. Évoquant des souvenirs, Bernard Clavel nous confie que « ce sont des choses que l'on croit avoir oubliées, mais qui sommeillent en vous et ressortent quand quelqu'un s'avise de les aiguillonner. »
Sa vocation d'écrivain transparaît, se dévoile quelque peu avec cette citation de Jean Guéhenno : « Les impressions d'enfance marquent la couleur de l'âme, » et son passé entre une mère conteuse-née et un père ressassant des souvenirs comme Henri Gueldry dans son roman Quand j'étais capitaine qu'on retrouve dans les tranchées creusées avec ses copains près du hangar. C'est lors d'un voyage à Lyon qu'il découvre le Rhône, qui va tant compter pour lui, « certain que dès ce jour-là, le Rhône est entré en lui. » Au cours de ses tournées, son père lui enseignait ce que Bernard Clavel nommera plus tard « sa géographie sentimentale ».
Son enfance est un pays de rêves, il plane en haut de l'arbre du jardin, suit avec passion les préparatifs de départ d'un voisin, Paul-Émile Victor, faisant « des tours du monde imaginaires. »
Mais le rêve de l'enfance s'éloigne brusquement avec La Maison des autres, roman largement autobiographique sur son apprentissage de pâtissier, dur apprentissage de la vie aussi pour cet adolescent pour qui la ville de Dole avait été liée au bonheur des repas de famille. Vision contrastée de cette ville qu'il décrira dans Le Tambour du bief avec le canal Charles-Quint et ses écluses. À travers une question sur le message que peut véhiculer un roman, c’est l’ouvrier de la nuit qui répond, celui qui déplore que les intellectuels ne soient pas considérés comme des travailleurs.
Après La Maison des autres, c’est le début de la guerre, chapitre qui commence par cette histoire de Voltaire : « Le soldat tire à genoux, sans doute pour demander pardon de son crime ». La guerre, vieille compagne « qui le hante » dira-t-il en 2005, avec qui il a des comptes à régler : toujours la conviction que la guerre est dans le cœur de l’homme et qu’il faut opérer pour l’éradiquer, en passant comme il l’a fait, par une prise de conscience longue et douloureuse. De l’occupation, il retiendra surtout un grand amour malheureux et, dit-il, « j’ai passé l’essentiel de mon temps à poursuivre des chimères. C’est je crois, ce qui a rendu la vie si difficile à mes proches. »
Il travaille d’arrache-pied et, comme un artisan têtu, remet constamment l’ouvrage sur son chevalet. Ainsi a-t-il traversé le temps de la guerre celui qui voulait voir la mer, part loin de chez lui, loin de ses parents, à la découverte de la France puis c’est à Castres que le cœur de vivants va vivre un grand amour. À l’héroïsme du soldat, il préfère le courage, celui qui « consiste à savoir dire non au pouvoir lorsque ce pouvoir nous oblige à des actes condamnables. » Credo pacifiste de celui qui a écrit Lettre à un képi blanc. Ses 'affinités électives' vont vers des pacifismes Romain Rolland, Jean Giono, Jean Guéhenno et Gilbert Cesbron, « un frère pour moi. » Puis ce fut Les Fruits de l’hiver, la disparition de ses parents, lui qui a été « le déchirement de leurs dernières années. »
Après la guerre, il se marie, vit le long du Rhône à Vernaison au sud de Lyon et peint plus qu’il écrit. Il côtoie les gens simples qui lui inspirent plusieurs romans comme Pirates du Rhône, ou La Guinguette et le Rhône, ce fleuve qui est aussi pour lui un 'personnage' qui peut être calme ou traitre, mais qui pique aussi de terribles colères comme dans La Révolte à deux sous ou Le Seigneur du fleuve. Peu à peu, il a délaissé la toile pour les mots.
Vernaison, la vie de famille, la société de sauvetage, son travail de salarié, la charge est énorme : le piège pour un écrivain. Bernard Clavel se qualifie lui-même de « menteur-né », ne sachant vraiment plus la part de biographie dans son œuvre et cite Albert Camus : « Les œuvres d’un homme retracent souvent l’histoire de ses nostalgies ou de ses tentations, presque jamais sa propre histoire. »
Quand on lui parle du Rhône, le défenseur de la nature s’insurge contre « les massacreurs de la nature qui, prédit-il, seront à long terme vaincus.» Bernard Clavel connaissait bien 'le prix du temps', écrivant « une pièce radiophonique par semaine, un roman par an, des émissions sur les disques et les livres, des articles pour des revues comme Résonances… » Telles sont ses 'années lyonnaises' de 1957 à 1964, quai Romain Rolland puis cours de la Liberté. Sa culture s’est forgée pendant ces années : « Tout est dans le tempérament mais tout vient aussi des rencontres, de ce que la pratique des métiers et le côtoiement des êtres vous apportent. » « Être romancier, dit-il, c’est porter en soi un monde, et c’est vivre en ce monde beaucoup plus qu’en celui qui vous entoure. » Malgré sa puissance de travail, Bernard Clavel plonge dans la dépression et il faudra l’intervention de son éditeur Robert Laffont pour qu’il arrive à tourner la page ».
Le parc Bernard Clavel a été inauguré en octobre 2011 en bordure de Rhône sur la commune de Vernaison[2].
Rupture, « l’éternel vagabond » s’installe dans la région parisienne à Chelles de 1964 à 1969, puis à Brunoy. S’il reste fidèle au stylo plume et au papier, le cinéma s’intéresse à lui et achète les droits de Qui m’importe et de Le Voyage du père. Terrible déception. Il ne reconnaît rien de ses romans et préférera désormais les adaptations télévisées auxquelles il participe, et la première, L’Espagnol[3], réalisé en deux parties par Jean Prat et diffusé en 1967, est un gros succès. Parfois même, ses romans rejoignent la réalité, une réalité qu’il apprend bien sûr après coup : il en donne quelques exemples à propos de L’Hercule sur la place ou Le Voyage du père. Sans doute écrit-il d’abord pour exorciser la mort. Il confesse : « Finalement, je me demande si l’on ne crée pas avant tout pour se survivre ». Et puis, il y eut 1968, pas mai 68, mais la consécration : prix Goncourt surtout, mais aussi grand prix de la ville de Paris et prix Jean Macé. À la question classique, « pourquoi écrivez-vous », il répond : « Écrit-on jamais pour autre chose que pour aller au fond de soi ? » (p. 123)
Retour au bercail : il s’installe dans la maison des abbesses à Château-Chalon près de Lons-le-Saunier où se déroule l’action de Le Silence des armes. (voir Terre des écrivains : Bernard Clavel à Château-Chalon) C’est l’époque où il écrit Le Seigneur du fleuve, Tiennot, Le Silence des armes et Lettre à un képi blanc. Avec ses deux derniers livres, c’est l’époque de la polémique, au côté des objecteurs de conscience, « j’estime, dit-il, que je n’ai pas le droit de cesser de me battre pour que la justice et la paix s’imposent ». S’il n’a aucun message à transmettre, il ne peut non plus écrire « une œuvre dégagée ». Il se veut comme son ami Roland Dorgelès « anarchiste chrétien ».
Sa nouvelle vie laisse augurer une grande stabilité, mais c’est le contraire qui se produit : début 1978, il s’installe au Québec avec Josette Pratte, Montréal, puis Saint-Télesphore, « je suis un homme d’hiver » dit-il, saison à laquelle il consacrera un album en 2005. Il revient en France à Paris, puis chez un ami à Bruxelles, le Portugal où il écrit Marie bon pain, Paris de nouveau chez des amis pour écrire La Bourrelle. Le périple se poursuit en 1979 dans une ferme du Doubs qu’il quitte en 1981 pour s’installer à Morges en Suisse sur les bords du lac Léman, renouer avec « La lumière du lac », là où en 1985 ce deuxième volume du cycle romanesque Les Colonnes du ciel a été élaboré (avant de partir en Irlande).
Bernard Clavel se défend d’écrire des romans historiques - Les Colonnes du ciel sont faits de héros 'modernes' et l’histoire aurait pu se dérouler à notre époque, ou de mélanger réalité et fiction. Il précise : « J’ai fini par acquérir la conviction profonde qu’il y a pour l’artiste un droit absolu d’adhérer de plus près à son œuvre qu’aux êtres qui l’entourent. » Cette fois, il ne s’agit plus d’une simple rupture, c’est un second souffle, un homme résolument tourné vers l’avenir ; il a rencontré Josette Pratte, « un grand amour avec qui j’ai des échanges constants ». Quand on lui reproche un certain égoïsme, il répond que le métier d’écrivain est fatalement une longue solitude. Il parle de Harricana, cette rivière du Québec qui coule dans Le Royaume du Nord, des gens qu’il a rencontrés, qui sont devenus personnages, recomposés par son imaginaire. Et il conclut : « Vous voyez : une fois de plus, je n’ai rien inventé et j’ai tout inventé ».
Et s’il ne pouvait plus écrire, si on lui interdisait d’écrire, question cruciale : « Je ne vous ai pas attendu pour me la poser, répond-il à Adeline Rivard, il y a près d’un demi-siècle qu’elle me poursuit… »[notes 5]
À travers ce récit[4], Bernard Clavel part à la rencontre de son enfance, de son passé. Il revoit ses terreurs d'enfant quand la lampe Pigeon de la salle à manger « n'éclairait jamais certains recoins d'où pouvaient bondir des ogres, des loups ou des monstres. » Frayeurs d'enfant qu'amplifie son imagination, visions d'animaux qui peupleront ses livres pour la jeunesse[5]. Sa mère renforce cette tendance, elle qui « appartenait au temps des veillées de contes populaires », née près de Dole dans le Jura où Marcel Aymé devait rencontrer La Vouivre. C'était leur univers, « des personnages de contes… qui vivaient pour elle aussi bien que pour moi », un monde qu'il fera revivre dans ses livres sur les contes et légendes[6]. « Je sais, écrit-il, que c’est dans ces moments-là que sourd ce qui m’a nourri et m’a permis d’écrire ».
Il y décrit le travail de ces humbles artisans aux mains d’or, Vincendon le luthier dont le père de Bernard Clavel conservera religieusement les outils, le père Seguin, cordonnier à l’échoppe qui exhalait des odeurs enivrantes de colle qui chauffait au bain-marie et des cuirs qui trempaient. Le jour où Nini la fille des Seguin, leur parle du Groenland, Bernard Clavel se souvient : « Dès ce jour, ce fut comme si j’avais commencé à préparer mon sac à dos ». Les souvenirs comme le départ sur le Pourquoi pas ? du commandant Charcot du fils Victor, se recomposent et se combinent pour déboucher un jour sur L'Homme du Labrador. « Par nature, par instinct, nous confie-t-il, je me sentais déjà du nord ». Bien sûr, dans ses souvenirs, on retrouve la tante Léa et l’oncle Charles, « ce vieux baroudeur qui avait connu les campagnes d’Afrique et d’Extrême-Orient », héros de son roman Quand j'étais capitaine.
Tous ces récits, la fin tragique de la mère Magnin, les balades dans la vieille auto de la mère Broquin, les amis cheminots de son père, vont s’imprégner dans la mémoire du jeune homme, ‘oubliés’, endormis mais qui alimenteront peu à peu son imaginaire. Bernard Clavel « profitait de leurs propos ». Il vivait avec eux leur vie simple, parfois leurs aventures, « c’est ainsi que je devais me rendre jusqu’à Istanbul dès l’âge de cinq ans à travers les récits d’un autre cheminot : le père Tonin ». Il lui suffisait d’un chêne étêté qui devenait navire de haute mer et il était « tour à tour Christophe Colomb, Vasco de Gama ou Charcot », Robinson Crusoé parfois quand « mon bateau se muait en île ».
Ce vieux chêne qu’il ne soumet à un sévère élagage que sur injonction de son père, a des airs de famille avec L’Arbre qui chante. C’est aussi cette absence de livres chez lui qui l’a marqué, et il se demande « si tous les enfants qui ont vécu leurs jeunes années dans une maison sans livres sont, comme je l’ai été, fascinés par la chose imprimée ». Il gardera des impressions profondes, rémanentes, des impressions de peintre avec ces reproductions de Bosch et de Pieter Bruegel dont ils retrouvent certains traits dans le visage de cette folle entrevue un jour en gare de Chaussin. En peinture, c’est sa tante Léa qui fut son initiatrice, l’aidant à développer ses dons naturels pour le dessin, lui présentant Delbosco, un voisin peintre.
À travers les menues distractions qui étaient autant de petits bonheurs, la joie de la retraite aux flambeaux, titre d’un de ses romans, se dessine L’Hercule sur la place qui doit ressembler à son oncle Paul, coiffeur à Dole. Dole, la ville de sa mère où il allait voir la maison natale de Pasteur et, sur le belvédère, admirer le panorama. Un jour de balade, il découvre, béat, le lac Léman dont il écrira Les Légendes. Nostalgie de l’almanach, nostalgie des textes de Roland Dorgelès, « des bonheurs d’enfants qui peuvent déboucher sur de belles joies d’homme », des extraits de Maria Chapdelaine, « de la neige, de la glace… nous parlions du Canada comme d’un paradis », avant-goût du Royaume du Nord. Des quelques livres entrés parcimonieusement chez lui, il dira « c’est d’eux que me vient l’essentiel de ce qui a nourri mes romans ».
Les souvenirs plus récents, c’est le temps de La Grande Patience, l’apprentissage à Dole chez un pâtissier « qui était une brute », c’est le temps des années noires que son ami Jean Guéhenno a si bien décrit dans son Journal, la montée du nazisme et la guerre. « Les hommes sérieux murmuraient, écrit-il. Tout ça ne sent pas bon. Ces nazis sont en train de nous préparer de grands malheurs ». Les Grands Malheurs, titre de son dernier roman.
Les Petits Bonheurs, c’est tout ça, les histoires, la vie quotidienne, les émotions qui l’ont marqué où l’on retrouve toute son iconographie, c’est d’abord une incursion dans ce qu’il appelait « sa géographie sentimentale ».
Ce livre où Bernard Clavel égrène ses souvenirs, ce qui a fait sa vie et nourri son œuvre, est né d’une série d’interviews recueillis par le journaliste Maurice Chavardès. Il y développe ses conceptions, disant qu'il écrit « pour communiquer mes émotions à mes semblables et pour en provoquer le renouvellement, » que ce métier requiert de la patience pour l'apprendre mais que « ne deviendra romancier que celui qui est né romancier : c'est-à-dire celui qui porte en lui un monde et le désir profond de l'animer. »
Il y évoque son enfance, son univers à Lons-le-Saunier avec ses parents, tout ce qui a disparu depuis, démoli, le jardin bétonné, saccageant ses souvenirs, qu’il ressent comme une blessure. Il revoit ces petits riens qui affleurent à sa mémoire comme la lampe pigeon de sa mère. Il voudrait retrouver les crépuscules d’hiver, le silence qui accompagne cette fuite de la lumière, « il imprégnait les âmes et ce qui pénètre ainsi une âme d’enfant peut à jamais colorer l’existence d’un homme. » Il était alors un rêveur invétéré.